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A Kroniks on publie ce qu’on veut quand on veut. Et on vous en donne la preuve.  D’habitude sur un site dédié aux BD on trouve des interviews d’auteurs de BD : scénaristes, dessinateurs, coloristes même. Et bien pas nous. Cette fois, nous avons décidé de vous proposer l’interview de quelqu’un qui n’a jamais sorti de BD . Bon, on ne tombe pas trop loin puisqu’il s’agit de celle de Patrick PINCHART, ancien rédac’ chef de Spirou Magazine et nouveau fondateur du site communautaire Sandawe dont on vous a parlé il y a peu.

Alléché par un peu de publicité gratuite, Patrick a bien voulu se prêter au jeu des questions (pas toujours) sérieuses de Tonton Cruchot et nous donne des réponses (pas forcément) stupides. On ne vous avait rien promis et pourtant la voilà.

Et donc j’annonce : Dans le cadre des belles interviews de Tonton Cruchot, voici un entretien tout en finesse avec Patrick PINCHART.

Patrick PINCHART bonjour. On va commencer par le début, c’est toujours plus sympa. Peux tu expliquer aux nombreux lecteurs de kroniks (si si, nombreux, on a les noms) ce qu’est Sandawe, ce que ça veut dire et surtout comment ça se prononce ?

Sandawe se prononce comme « Zimbabwe ». C’est le nom d’une tribu africaine. On a flashé dessus car elle a plein de valeurs proches de celles de la communauté qu’on veut installer: elle n’a pas de leader, tout se décide en commun; elle n’a pas le sens de la propriété, tout appartient à tout le monde (je parle des objets, pas forcément des femmes, calme-toi!); et aussi, son langage est très spécial car ces aborigènes parlent… par clics. Exactement comme nous. Je veux dire quand on clique sur un lien, quoi. « Clic ». Non? Tu ne comprends pas ? Nous, ça nous a fait rire… Bref, Sandawe est une maison d’édition de bande dessinée basée sur une communauté de lecteurs et d’auteurs de BD, dont les projets des derniers peuvent être financés par les premiers. Est-ce que je suis clair ? Non ? Bon (soupir…), tu connais « MyMajorCompany » et Grégoire ? Oui (re-soupir…) ? Eh bien, c’est le même principe, mais adapté à l’édition de bande dessinée: les auteurs proposent des projets, les internautes les financent, nous les éditons et distribuons les albums, en version papier, dans les bacs des libraires et, en version électronique, sur Internet. Les internautes qui participent à l’aventure ont leur nom imprimé dans l’album, reçoivent  des tirages « collector » de dessins inédits et planches, et, surtout, se partagent les bénéfices. C’est clair, à présent? Bien (re-re-soupir…)!

Après avoir un peu joué au journaliste, tu as été rédacteur en chef pour Spirou Magaziiiiine (deux fois) et en 2009 tu abandonnes cette place en or pour te lancer dans un projet d’édition communautaire. C’est le fait de « coacher » les jeunes pour Spirou Magaziiiiine qui t’a poussé à te lancer dans cette aventure ?

– « Yep! », comme disait Sarkozy,… ah non, Lucky Luke,… ou Blueberry, je ne sais plus. C’était la partie la plus passionnante du boulot… Comment ? Non, je n’ai pas dit que le reste était chiant, il ne faut pas interpréter comme ça! A part ça, c’est vrai que c’était une place en or. Surtout quand on aime la BD, les auteurs de BD et… quoi ? Mais non, pas les filles des auteurs de BD, il faut vraiment te calmer… Vous êtes tellement en manque, à Kroniks ?

Le site comptabilise plus de 1000 pigeo… heu membres six mois à peine après sa mise en ligne. A ton avis, qu’est ce qui fait son succès ?

– 1000? Six mois? La personne qui t’a documenté devait avoir un peu bu ce jour-là. On frise les 1500 membres si tu comptes les auteurs (ils sont déjà 250). Et on existe à peine depuis janvier. Donc, on est encore au biberon. Je pense que si les gens se sont inscrits, c’est parce que les projets qu’on leur propose sont de qualité et qu’ils ont bon espoir qu’ils soient édités. Sandawe  ne propose que des projets professionnels, ce n’est pas un blog d’amateurs (même si j’estime les amateurs, certains sont les auteurs « pros » de demain, mais il y a encore du travail! On est là pour les aider à y parvenir, il y aura même une rubrique dans le forum où on conseillera des références pour qu’ils puissent se documenter et s’exercer.)

Sandawe propose au moment de cette interview 11 projets très variés. Peux-tu nous expliquer comment ils ont été choisis ? Surtout, avez-vous fixé des limites à leur nombre : trop peu et le choix va manquer, trop et les fonds vont se disperser, non ?

– Exactement! La sélection se fait comme chez un éditeur traditionnel (ce qui nous différencie, c’est la méthode de financement, pas le reste) : des auteurs nous envoient des projets, je les lis, j’en discute avec eux et ceux qui atteignent un niveau qualitatif suffisant sont proposés aux internautes. La sélection est donc draconienne et le restera, donc le nombre augmentera, mais à un rythme raisonnable, avec un maximum de deux nouveaux projets par mois en vitesse de croisière.

Parlons un peu sousous. Les pigeo… les « édinautes » vous confient de l’argent pour développer et éditer des albums de bande dessinée. Que peux-tu leur dire pour les rassurer et les inciter à investir ?

– Que leur argent est déposé sur un compte spécial, accepté par la CBFA qui est le redouté organisme de contrôle des banques en Belgique et que je ne pourrai donc pas passer mes prochaines vacances aux Bahamas à leurs frais. De plus, ils peuvent à tout moment déplacer leur argent d’un projet à un autre, et même se faire rembourser, s’ils en font la demande à notre tueur professionnel… Tu dis?… Ça ne va pas les rassurer, ce que je viens de dire? Mais je blaguais… Tu ne trouves pas ça drôle? Bon, retourne regarder le film que tu visionnais sur Youporn quand je suis arrivé, ça semble t’avoir distrait un petit peu!

Assez parlé des pige… des membres. Si on parlait des auteurs. N’importe qui peut soumettre un projet ? Y a-t-il un état d’avancement minimal ? Vous en prenez encore ?

– N’importe qui peut soumettre un projet et c’est ce qui se passe en pratique, mais n’importe qui ne sera pas éditable, car nous ne prenons que ceux qui ont un potentiel, donc toutes les qualités pour que leurs albums ne se retrouvent pas au pilon quinze jours après avoir été imprimés. Par la suite, comme c’est le public qui choisit d’éditer, on a au moins la garantie que cela plaira à un certain nombre de lecteurs, que les édinautes (c’est ainsi qu’on appelle ceux qui investissent dans les projets) vont faire de la pub puisqu’ils se partagent les bénéfices, et donc que ces livres seront vus. Ce qui n’est pas évident pour les autres vu la surproduction actuelle.

Les auteurs qui se lancent avec vous touchent-ils une avance ou ils doivent attendre que le livre soit dans les bacs pour être payés ? Et du coup pour ton équipe c’est pareil ?

– Les auteurs touchent une avance sur leurs droits, qui leur est acquise que le livre réussisse ou non. Et, bien sûr, par la suite, ils touchent des droits sur les livres vendus, une fois cette avance atteinte. Nous, on n’est payés que sur le budget de financement et sur les ventes. Pour le moment, on mange du riz aux pâtes « premier prix »  et on boit de l’eau du robinet, car on ne touchera donc rien avant qu’un projet soit financé. Et encore, comme on est un peu tar… euh, très passionnés, on offre notre part du budget à tous les projets qui seront financés avant la rentrée. Donc, dépêchez-vous d’investir, car une fois cette date dépassée, les budgets grimperont. Et on pourra passer au champagne. Non, c’est une boutade, je ne bois que de la bonne bière belge.

Est-ce qu’ils doivent signer une sorte de clause d’exclusivité avec vous ?

– Ben oui, c’est normal. Ils ne vont pas demander aux internautes d’éditer leur projet et en même temps aller signer à la concurrence, ce ne serait pas honnête pour les édinautes qui leur font confiance. Le contrat d’édition est déjà signé quand le projet est mis en ligne.

Tu as beaucoup travaillé dans la BD. Dans le désordre tu as été journaliste, fondateurs de divers festivals ou d’expositions, fondateur du site Actuabd, directeur d’édition pour Spirou Magaziiiine et même « éditeur du patrimoine des Editions Dupuis ». Classe. Donc on peut dire que tu connais un peu le média. Alors quel type de lecteur es-tu? Quels sont tes classiques absolus? Tes derniers coups de cœur ? Tes derniers coups de gueule ?

– Comme j’ai eu la chance de grandir puis de travailler avec des personnes telles que Franquin, Morris, Will, Peyo, Sirius, Leloup, Cauvin… pour ne citer qu’eux (je me fais plein d’ennemis, là !), j’ai une bonne base classique. J’avais le journal « Spirou » et le journal « Tintin » dans mon berceau (merci, papa, merci, maman, merci bonne-maman – en Belgique, toute la famille lisait ces journaux) dès la naissance. Mais comme j’ai eu la chance de créer la première émission de radio consacrée à la bande dessinée, en 1980, j’ai découvert toute la jeune génération de l’époque, réunie autour du mensuel (A suivre), et toutes les stars des journaux encore vivants tels que Pilote mensuel, Métal Hurlant, Fluide, L’Echo des Savanes (avant la période porno. Après aussi, mais ça, ça ne se dit pas), etc. A Spirou, évidemment, j’ai vu émerger de grands talents comme Tome et Janry, Midam, Zep, et plus tard Lapuss, Libon et plein d’autres. Et Didier Pasamonik me conseille en mangas, car j’ai du mal à m’y retrouver dans cette énorme production.

Côté « coup de gueule », c’est la surproduction actuelle qui me fait râler car certains éditeurs publient n’importe quoi simplement pour occuper de l’espace en librairie, dont beaucoup de livres qui n’auraient jamais dû être édités et dont tout le monde sait, sauf l’auteur puisqu’il n’a pas le recul nécessaire sur son travail, que cela va finir au pilon  une semaine plus tard. Et celui qui en paie le prix fort, c’est l’auteur, justement, surtout les jeunes qui commencent donc leur carrière sur un échec.

Autre « coup de gueule », la destruction progressive de l’image de Tintin par Nick Rodwell et ses dérapages comme ses attaques sur la vie privée de certains journalistes: je suis stupéfait que Spielberg mette ses billes dans un projet avec quelqu’un d’aussi instable psychologiquement.

Côté « coup de cœur », un petit livre de Zidrou et ses potes dessinateurs qui s’appelle La vieille dame qui n’avait jamais joué au tennis. C’est un livre qui rend heureux et qu’il faut avoir lu, offrir à tous ses potes, à toute sa famille, au poisson rouge, à tout le monde, quoi! Côté classique absolu, Le nid des Marsupilamis ex-æquo avec Les idées noires de Franquin. J’emmène sans discussion ces trois albums sur une île déserte.

Après avoir passé tant de temps dans le milieu tu arrives encore à être surpris ?

– Oui, le contraire serait bien triste. Je ne vais pas en rester à la nostalgie des bouquins de mon enfance, quand même ! L’âge d’or de la BD, c’est maintenant, pas dans le fond d’une bibliothèque poussiéreuse. Mais je relis toujours avec un énorme plaisir un Peyo, un Franquin, un Greg, un Christian Godard, un Goscinny, et même un Hergé malgré les énormes et répétés efforts de Nick Rodwell pour m’en dégoûter.

Patrick, merci beaucoup pour avoir pris un peu de temps pour nous. On souhaite longue vie à ton site et plein de petites BD. Et surtout nous te souhaitons un bon rétablissement après la grosse frayeur que tu as fait à tout le monde. On se revoit pour la toute première publication ? Je te laisse le mot de la fin. Celui que tu veux.

Oui, pour tous ceux qui ne seraient pas au courant de la « grosse frayeur » : j’ai battu le record de chute en salle d’escalade en Belgique, 18 mètres de haut sans filet, dix jours à peine après avoir lancé les éditions Sandawe et je suis un peu cassé pour de nombreux mois, ce qui a retardé le réel lancement du site de quatre mois, le temps que je sorte de l’hôpital. Il vient d’avoir lieu. Donc, si j’ai dit des conneries, c’est normal, j’ai une excuse, c’est la morphine. Donc, voici mon mot de la fin: « si vous pratiquez l’escalade, ne faites pas comme moi, vérifiez votre nœud d’assurage. »… Que dis-tu ?… Ça n’a rien à voir avec la BD ?… Ah, je devais dire quelque chose en rapport avec la BD ? Bon, euh, eh bien, euh, ben tu me prends au dépourvu, là… « Vive la BD », ça va ?… Comment ?…Tu attendais mieux que ça venant de moi ? Attends… Je réfléchis… Ah, j’ai trouvé, ça va être la citation du millénaire ! Accroche-toi ! Voici :

« … » (clic)

(L’enregistreur MP3 est malheureusement tombé en panne à ce moment de l’interview et notre chroniqueur ayant un peu trop arrosé l’interview après la rencontre, ne se souvient plus vraiment des paroles de Patrick Pinchart, qui devaient certainement être très intéressantes. Cela dit, on retourne visionner le film de Youporn qu’il nous a conseillé.)