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Avec l'aimable autorisation du sujet

Francis Desharnais

Comme nous le racontons dans l’édito spécial Burquette, cette interview est un peu particulière puisqu’elle a été réalisée à la demande de l’auteur lui-même, qui a insisté pour nous rencontrer (oui oui, insisté !). Et on peut vous dire qu’on n’en est pas peu fier !

Et donc j’annonce, dans le cadre des belles interviews de Tonton Cruchot (et de Xavier !), Kroniks vous propose un entretien exclusif avec Francis Desharnais. A déguster lentement et avec l’accent de la belle Province.

Kroniks : Francis, bonjour. On va commencer par la première question, c’est plus simple : qui es-tu et d’où viens-tu ?

Francis Desharnais : Bon ben, Francis Desharnais, j’ai écrit et dessiné Burquette. Le tome 1 sorti en 2008 et le tome 2 en 2010. Et là, je suis de passage à Paris pour rencontrer des médias, faire une séance de signatures à Paris et puis je vais aller à Angoulême. Mais plus comme touriste que comme auteur qui signe ; quoique je vais apporter des livres que je vais essayer de vendre sur place (rires).

K : Tu as déjà participé au festival de BD d’Angoulême en tant que visiteur ou qu’auteur ?

F D : En 2006 ou 2007, je suis allé à Angoulême parce que j’avais gagné un concours organisé par l’Office Franco-Québécois pour la jeunesse (OFQJ). C’était un concours de bande dessinée, j’avais fait une planche et j’avais gagné un séjour en France dont quatre jours au festival de BD d’Angoulême.

K : Qu’est-ce que tu en as pensé ? En France, c’est LE gros évènement BD.

F D: Ben partout dans le monde en fait, je crois qu’Angoulême est LE gros évènement. Au Québec aussi on connait. Sauf qu’on a moins l’occasion d’y aller (rires) !

J’ai trouvé ça gigantesque. Au Québec on fait plus des salons du livre. C’est aussi gros, même un peu plus gros qu’un salon du livre au Québec, mais ce n’est que pour la bande dessinée. Donc c’était assez impressionnant.

Voir aussi toutes les expos et puis d’avoir accès aux auteurs aussi. Enfin, moi j’étais trop gêné, donc je n’ai pas parlé avec les autres auteurs à ce moment-là. Mais bon, ils sont là, tu les vois, tous les grands noms dont tu entends parler !

K : En faisant des recherches, on a trouvé que tu as travaillé dans l’animation. Est-ce que tu peux nous en parler ? Parce que tu es venu à la BD après, j’imagine.

F D : En fait je viens de la BD au départ, mais quand je dis au départ c’est à l’âge de 8 ans !

J’ai toujours aimé la bande dessinée, j’ai suivi des cours. Je ne sais pas comment vous dites ici, mais nous on appelle ça l’Ecole des loisirs. C’est après l’école, le vendredi soir ou le samedi matin. J’avais des ateliers de bande dessinée. Donc j’ai appris comme ça. Sauf que dans les années 90, quand j’ai terminé mes études, le milieu de la bande dessinée au Québec était proche de zéro, il n’y avait pas grand-chose qui se publiait ou en tout cas rien à mon goût. Donc c’était absolument impensable de l’envisager comme une carrière.

Donc je suis allé en graphisme, pour pouvoir travailler après. Et puis c’était un truc qui se rapprochait presque de la bande dessinée.

Après j’ai bifurqué vers le cinéma d’animation, j’ai fini par travailler pour l’Office National du Film du Canada, qui est une maison de production d’Etat et qui produit beaucoup de films documentaires et des courts-métrages d’animation. On a une très très belle et riche histoire en cinéma d’animation au Canada, les films se font souvent remarquer dans les gros festivals et même aux Oscars. Donc c’est une belle école et il y a les moyens de faire une animation différente de ce qu’on voit souvent à la télé le samedi matin.

Mais j’avais toujours envie de revenir à la bande dessinée. Et puis en 2003-2004, j’ai travaillé pour une réalisatrice française, qui s’appelle Florence Miailhe, j’étais ici à Paris pendant ces années-là et c’est là que j’ai commencé à travailler sur Burquette.

K : Donc la genèse de Burquette s’est déroulée en partie en France ?

F D : Oui, oui, tout à fait.

K : Burquette a créé la surprise avec le thème atypique du voile intégral. Autant qu’on le sache – et on a bien cherché tous les deux – à part dans l’Affaire du voile de Pétillon, ce thème n’a jamais été abordé en BD. Pourquoi cet angle d’approche ?

F D : Quand j’ai eu le « flash », parce que c’est un peu ça qui est arrivé, j’étais à Paris et c’était tout le débat sur le voile à l’école en 2004. Tout le monde ne parlait que de ça, dans les journaux, à la télé, à la radio. Ça me faisait mijoter.

J’avais aussi un ami qui allait avoir son premier enfant et il ne savait pas encore si ça serait un petit garçon ou une petite fille. Il avait très peur d’avoir une petite fille qui serait un peu une « princesse » superficielle. Il disait « si j’ai une princesse, je l’envoie en Afrique ou dans un pays pauvre pour qu’elle voie d’autres façons d’être, d’autres façons de vivre ».

Donc ce sont ces deux évènements-là, mixés ensemble, qui m’ont donné l’idée d’un père qui va trop loin dans son désir d’éveiller son enfant à d’autres réalités que la sienne, à avoir une conscience sociale un peu plus développée. Le voile se portait super bien à ce thème-là, parce que là l’apparence est absolument « castrée », on va dire.

En même temps il y a l’aspect religieux qui peut être assez présent, assez fort. C’est à la fois le truc le plus « exotique » et le plus lourd de sens pour nous, en tant qu’occidentaux. C’est un truc qu’on ne comprend pas, qui est absolument à l’opposé des valeurs que nous prônons en général dans notre société.

Donc je me disais que c’était assez fort comme thème pour que ça marche bien et surtout j’avais des idées de gags. C’est ça en premier lieu qui a fait que j’ai continué dans cette voie-là.  Au début je me disais que je serais bon pour une dizaine de gags, que je ne pourrais jamais faire un album complet en ne parlant que de burqa. Mais à force d’en faire, à force de prendre le personnage d’Alberte et de le mettre dans différentes situations, je pouvais essayer de voir quel type de réactions ça pouvait susciter, ce que ça pouvait faire une adolescente en burqa dans une discothèque ou dans un bar de danseuses…

K : …dans la société occidentale en général

F D : Voilà, exactement. Ça c’est un peu ça la réponse longue, je dirais (rires) !

K : Ce qu’on a ressenti dans ce tome 1 c’est que la burqa n’est que la première accroche. Pour autant elle n’est qu’un accessoire à l’histoire. La réflexion porte plutôt sur la famille et la difficulté d’élever des ados, non ?

F : Oui, parce que ce qui m’intéressait, à la base, au-delà de mettre du comique de situation, c’était justement cet aspect-là de la relation entre père et fille. Je crois que c’est ce qui fait que la BD fonctionne bien.

Et puis c’est aussi ce qui me donne l’envie d’en faire d’autres ; c’est pour ça que j’ai fait un tome 2, parce que je me suis dit, ben le père il peut avoir d’autres idées, il peut avoir d’autres façons d’éveiller sa fille.

Donc oui pour moi ce qui fait la base de cette bande dessinée c’est beaucoup plus la relation entre le père et la fille, la dynamique entre les deux, avoir un père très…

K : …Caricatural ?

F D : …caricatural, c’est ça, de gauche caricaturée. Bon, de gauche, de droite on ne sait pas trop. Et puis d’avoir une fille plus euh… Bon, je la dis superficielle, mais en même temps c’est une adolescente. C’est tout à fait normal à 14 ans… C’est un genre d’éveil qui peut arriver beaucoup plus tard, soit à l’école, soit en lisant.

K : Justement, le père, tu dis l’avoir voulu caricatural, gauchiste militant. Est-ce que c’est vraiment une caricature que tu as voulu faire ou il y a une partie de toi que tu as mis dedans ? Est-ce que tu ne serais pas un peu militant et que tu essaierais de faire passer un message à travers tes albums ?

F D : On me pose souvent la question (rires).

K : C’est toujours la question qu’on pose à un jeune auteur quand il sort son premier album !

F D : C’est aussi parce que j’ai toujours des difficultés à répondre ! Je n’ai pas la prétention de vouloir affirmer quoi que ce soit, de vouloir faire la leçon, faire la morale à qui que ce soit.

K : Tu peux vouloir faire passer un message, tout simplement. « Voilà ma position, je préfère en rire et voilà ce que moi je pense ».

F D : Ben je crois que c’est un peu ce qui se passe de toutes façons, je pense qu’on voit par la bande dessinée que je ne suis pas en faveur de la burqa.

K : C’est difficile de l’être, en même temps, c’est sûr.

F D : C’est à peu près impossible. Mais en même temps je n’ai pas voulu condamner de l’extérieur. C’est pour ça que je me suis dit que c’était quand même intéressant de prendre le point de vue de la femme, de la fille à l’intérieur de la burqa. Ça, ça me plaisait bien. Donc comme approche, je me disais plutôt que d’être continuellement en confrontation je me demanderais ce qui ne marche pas à l’intérieur de la burqa. Donc je dirais que oui, de ce point de vue-là, y a un message mais…

K : Tu as voulu pointer du doigt, quand même.

F D : Je ne propose pas de solution, je ne propose pas UNE façon de voir ou une façon de dire « pour régler le problème il faut faire ci et ça ». Je n’ai pas voulu aller dans cette direction-là.

K : Est-ce qu’au Canada vous avez aussi des voiles intégraux, des intégristes, des problèmes de montée du fondamentalisme ? Est-ce que la BD a été bien accueillie, est-ce que ce n’était pas trop « exotique » par chez toi ?

F D : Non, la BD a été bien accueillie parce que, pas longtemps après, 2007-2008, on a eu à peu près le même genre de débat que vous avez eu en 2004.

Nous on a appelé ça le débat des « accommodements raisonnables ». Qu’est-ce qu’un « accommodement raisonnable » ? Ce sont des mesures au cas par cas où des gens issus d’une religion vont demander un accommodement, justement, pour pouvoir pratiquer ou vivre leur foi.

K : Du communautarisme ?

F D: Hmmm, je ne sais pas, je n’irais pas jusque là. Par exemple quelqu’un qui demanderait un local un peu isolé pour pouvoir faire sa prière, ça rentre dans ce qu’on appelle un « accommodement raisonnable ».

Sauf que parfois c’est allé trop loin. Au Québec, à part Montréal qui est assez multiculturel, la société est assez homogène, c’est très blanc francophone ; les gens qui pratiquent leur religion restent assez discrets.

Sauf qu’avec ce débat là qu’on a eu, chaque cas a été monté en épingle. Chaque fois qu’on en parlait dans les médias, une partie de la population « pétait un plomb » : « on va pas commencer à tout le temps nier nos valeurs », tu vois.

Il y a des extrémistes, mais on ne les entend pas tant que ça. Et puis le niqab, même si on en trouve un peu à Montréal, reste quand même marginal. Évidemment beaucoup de gens ont peur qu’il se répande. Donc la société québécoise se braque assez rapidement quand il y a des faits divers en rapport avec des femmes qui portent ce voile-là.

Il y a une peur qui, à mon sens, est démesurée par rapport à la réalité.

K : Dans le tome 2, c’est la réunion tant attendue d’Alberte et de sa mère. Mais on ne peut pas vraiment dire que tout se passe comme prévu pour Alberte.

F D : Ben, non, il fallait pas ! (rires)

K : Finalement sa mère ne vaut pas tellement mieux que son père, non ? Est-ce que c’est un regard sur la difficulté d’être parent ? Il y a un strip que j’aime beaucoup qui dit « ça fait 14 ans que j’ai envie de vivre avec ma fille, mais pas forcément d’être sa mère ».

F D : Je me disais que si je voulais faire d’autres strips d’Alberte et de son père, il ne fallait pas que la mère puisse trop s’ingérer dans cette dynamique-là, parce qu’une vraie mère laisserait pas faire ce que le père fait à la fille. J’avais besoin de la mère – pas que je m’en débarrasse, parce que j’y tiens, c’est quand même un personnage intéressant – mais il ne fallait pas que je l’intègre trop à la dynamique entre les deux.

K : Et du coup elle a sa propre dynamique à elle.

F D : Ben c’est ça, exactement. Elle demeure très individualiste, même si elle prétend vouloir un peu changer le monde.

Moi je trouve que la relation entre la mère et la fille est presque plus horrible qu’entre le père et la fille, parce que je me dis qu’une mère qui refuse, enfin pas qui refuse, mais qui ne veut pas s’occuper de ses enfants, moi ça me trouble encore plus. Alors qu’un père qui s’occupe mal de ses enfants, on l’a déjà vu (rires).

Mais en même temps je me suis demandé : est-ce que c’est réaliste ? Est-ce que c’est plausible ? Et je me suis dit que oui, malheureusement ça existe des mères qui ne veulent pas s’occuper de leurs enfants. Alors je me suis dit ok, allons dans cette direction-là. Et j’ai fait en sorte que la mère ait beaucoup de doutes quant à sa capacité d’être une bonne mère.

K : Du coup, ça fait un contrecoup terrible parce que tu termines le premier volume sur un espoir fou pour Alberte, qui se dit qu’enfin elle va pouvoir vivre avec sa mère et à peine montées dans l’avion les nuages s’amoncèlent.

F D : Ouais, je ne perds pas de temps, là (rires) !

K : Ce qui est intéressant c’est que la mère est consciente de ses propres défauts.

F D : Oui, alors que le père ne l’est pas tant que ça. Ce que j’aime bien dans le tome 2, c’est que la mère, malgré tout, est moins caricaturale que ce que le père l’est. Ça se passe plus au niveau de ses réflexions, de ses doutes et de ses choix finalement. Mais je pense l’avoir présentée d’une manière plausible.

Alors que le père, lui, on va dans la caricature, il est…

K : … Il est complètement à l’ouest !!

F D : Ouais, c’est ça. Donc je suis peut-être un peu moins allé dans la caricature pour ce qui est de la mère.

K : Quoique, dans le tome 2, le père, du fait qu’il se retrouve tout seul, change quand même un petit peu, non ? On n’est pas dupe, il part en Balynaisie « libérer le peuple opprimé » mais il laisse tomber dès qu’il a retrouvé sa fille.

F D : Oui, je voulais quand même mettre des petites touches de tendresse (rires) !

K : Le père n’est pas un psychopathe complet, quand même.

F D : Dans le premier ça faisait un peu ça, il avait l’air complètement fou. Mais je pense qu’il est quand même attaché à sa fille. Je tenais à présenter aussi cet aspect-là. Et puis, ça explique aussi un peu pourquoi Alberte reste avec lui et pourquoi elle « accepte » son autorité, même quand il lui fait faire des choses qui n’ont pas de bon sens, comme la burqa ou la machine à coudre.

K : Tu joues quand même un peu avec le chaud et froid. Par exemple, dans le tome 1, quand ils regardent ensemble le documentaire sur l’excision, ça fait peur !

F D : Oui, ça c’était le moment qui aurait pu aller trop loin, mais bon, j’irais pas jusque là, quand même !

K : Autant la burqa arrive à tenir tout le long du premier album et tu arrives à rebondir sur des choses intéressantes, autant la machine à coudre est une super idée que tu abandonnes assez rapidement. Dans le tome deux tu es plus sur une critique de tes personnages. Et l’idée de départ qui aurait pu être le fil rouge de tous tes albums est abandonnée assez vite.

F D : Oui, c’est parce que je ne voulais pas répéter Burquette 1. Le symbole est là, mais il est quand même moins fort que la burqa.

Et puis pour ce deuxième tome, j’avais deux objectifs : faire voyager Alberte et la mettre dans un contexte où elle découvre un peu ce que le père essaie de lui inculquer, de le voir en face ; et je voulais que le père se retrouve pris avec ses idées.

Au final, c’est le père qui se retrouve empêtré avec cette espèce de gros machin en fonte qui n’est absolument pas transportable facilement.

Tout de suite la suite ! …