Copyright L'Atalante 2009
Septembre 1938. Le Docteur MABUSE a convoqué dans la ville secrète de Métropolis tout le gratin mondial de surhumains pour leur annoncer ses intentions : s’opposer par la force s’il le faut aux communistes et aux juifs qu’il accuse de vouloir liquider l’essence de la civilisation européenne. Les supers soldats russes dans leur armure de fer s’offusquent de cet affront. De son côté le Nyctalope, le protecteur de Paris, tente de raisonner MABUSE avec l’aide de l’Accélérateur de Londres.
De retour à Paris, Irène JOLIOT-CURIE reçoit la visite d’un ancien soldat qui a été sorti d’un coma de 14 ans par sa mère, Marie CURIE, et découvre son étrange secret qui pourrait bien rétablir l’équilibre des pouvoirs à l’orée d’une guerre mondiale.
Voilà donc résumé très succinctement le départ de l’intrigue d’une nouvelle série de super-héros … français. Oui môssieur. Quoiqu’on devrait plutôt parler de surhommes, mais on y reviendra.
A l’origine de cette série prévue en six tomes se trouve Serge LEHMAN, de son vrai nom Pascal Fréjean, écrivain français passionné de science-fiction.
A la fin des années 90, il s’est rendu compte que la culture française faisait constamment barrage au genre de la SF. Après quelques recherches il a déniché quelques 3 000 récits français écrits entre Jules VERNES et BARJAVEL.
Bien décidé à réhabiliter le genre aux yeux du public, il a cogité et mis de côté une uchronie sur la disparition des surhommes en Europe. L’idée a germé, s’est endormie et lui est revenue en 2005. Il en a parlé à son éditeur l’Atalante, GESS (Carmen Mc CALLUM) a fait un bout d’essai et face à la difficulté qu’il venait de soulever il a demandé l’aide de Fabrice COLIN (trois fois lauréat du Grand Prix de l’Imaginaire).*
La série de la Brigade Chimérique venait de naître.
La Brigade Chimérique est donc une uchronie se déroulant dans une Europe fictive peu avant 1940. Un savant fou allemand, le Docteur MABUSE, entend faire barrage aux juifs et aux communistes sur les plateaux de l’Europe de l’Est. L’équilibre des pouvoirs étant menacé, les alliances se nouent entre les protecteurs de chaque Etat pour s’opposer ou rallier cet adepte de la svastika. Deux axes prennent alors formes, une alliance franco-anglo-américaine et une entente hispano-italo-germanique.
Ze Ligue of zi Aixtrordinèri Jeantleumène
La Brigade Chimérique est une œuvre riche et complexe située à la croisée de très nombreuses influences, la Ligue des Gentlemen Extraordinaires en tête, mais pas que.
Sur la forme tout d’abord, puisque les auteurs ont calqué leurs albums sur le format américain des fascicules. Les six tomes prévus se présentent donc sous la forme de petits volumes contenant deux épisodes de 24 pages. L’idée était de sortir du carcan habituel des feuilletons d’aventure à la française, longs, pesants et redondants. En optant pour un format court, ils s’obligent à plus de « légèreté et d’insouciance »*.
Mais la plus grande qualité de la série reste son fond.
Tout comme dans la série de MOORE et O’NEIL, la Brigade se déroule dans un monde similaire au notre où les principaux protagonistes sont dotés de pouvoirs particuliers. Et tout comme dans la Ligue, les personnages sont issus de la littérature fantastique classique. Le Nyctalope est un héros crée par Jean de la Hire, le docteur MABUSE a été inventé par l’écrivain luxembourgeois Norbert Jacques et même le groupe russe Nous Autres trouve son origine dans la littérature populaire.
Il y aurait par ailleurs beaucoup à dire, et à écrire sur les thèmes et les références invoquées par les scénaristes. On peut citer pèle mêle bien évidemment le mythe du surhomme de NIETZCHE, Kafka, l’Art nouveau, des poulpes lovecraftiens, Albert EINSTEIN, l’expressionnisme allemand de MURNAUD ou la grandiloquence de Frtiz LANG, le tout sur fond science fiction et de machines à vapeur.
Enfin, et pour en finir avec les références, personne ne pourra passer à côté du graphisme de GESS qui lorgne plus qu’abondamment sur le style si particulier de MIGNOLA, fait de personnages bruts et de silhouettes esquissées dans des ombres opaques.
Mais n’est pas MIGNOLA qui veut et force est de constater que les petites cases alignées en gaufrier sur de petites pages nuisent parfois à la fluidité du récit.
On obtient au final une série patchwork qui malgré les très nombreuses références réussit quand même à se dégager une identité propre. Le scénario est assez prenant, les références intellectuelles abondent et on ne compte plus les niveaux de lecture proposés.
Toutefois, il serait malhonnête de ma part de crier au génie pur et simple et au renouveau attendu du genre super héroïque français. Je me dois d’apporter quelques réserves à ceux qui voudraient se ruer dans leur boutique en s’arrêtant à ce stade du billet.
Copyright L'Atalante 2009
La série a été conçue selon les scénaristes pour être lue au premier abord comme une aventure romanesque. Pourtant, force est de constater que la très grande richesse appesanti sensiblement la lecture. Chaque personnage, chaque situation a été pensé au point de transformer le récit en une succession d’indices et de références subtiles à décrypter (par exemple l’opposition vie/mort – angélisme/bestialité des quatre héros de la Brigade Chimériques).
Et puis il y a le format voulu par les auteurs. Comme je l’ai précisé la série comportera au final 6 tomes contenant chacun deux épisodes de 24 pages, vendus au prix unitaire de 11€. Autant dire que malgré toutes ses qualités, le prix risque fort de faire fuir les curieux. C’est quand même un poil plus cher qu’un album petit format classique (9,90€) et un chouilla moins cher qu’un album classique pour une taille fascicule.
Certes l’idée d’un format à l’américaine est à la base une bonne idée. Mais dans ce cas pourquoi avoir choisi la version cartonnée/papier glacé (les bouquins sont très agréables à tenir cela étant. Mais pas forcément à lire) là où les fascicules mensuels contenant autant de pages sont vendus moitié moins cher ?
Finalement, je suis assez partagé quant à La Brigade Chimérique. J’ai réellement apprécié son histoire, innovante, dense et riche comme peu d’histoires peuvent l’être. Je ne peux que saluer bien bas le talent des auteurs. Mais j’ai été en même temps rebuté par ses nombreux défauts (taille, prix, saturations de références et autres paraboles). Je lirai la suite, bien évidemment, mais averti.
A réserver pour l’instant aux fortunés amateurs de SF rétro, de feuilletons romanesques et de subtilités littéraires. Pour les autres, je ne peux que leur conseiller d’attendre une éventuelle intégrale.
*Source l’interview riche en détails des scénaristes par Bodoï
Le site officiel de la série